En novembre 2019, Frédéric Molas publiait une vidéo sur la chaine Bazar du Grenier où il expliquait sa déconnexion avec les contenus populaires de la plateforme YouTube. Un sentiment partagé par beaucoup mais qui n’a pas empêché les vidéos sans fond d’être toujours mises en avant.
Tout est politique
Qu’on le veuille ou non, la politique est partout. Quel que soit le divertissement, il est assez difficile de ne pas voir de messages dans toutes les formes d’arts. Que l’on parle de jeux vidéo, de cinéma ou de musique, il y a toujours un moment où des idées apparaissent. Même dans un Call of Duty, on y aborde les sujets de la guerre et même si certains éditeurs se défendent d’être politisés, il y aura forcément des points de vues qui seront exposés d’une manière ou d’une autre. S’il existe des divertissements qui permettent d’éteindre son cerveau, il reste tout même intéressant de s’interroger si on veut réellement qu’ils deviennent la norme.
Le problème de YouTube a toujours été sa dépendance avec la publicité. Un modèle qui montre ses limites à un moment où la plateforme a pris une telle place dans la culture populaire et est devenue en quelques années la principale manière d’être vu et entendu. Bien qu’il soit plus ou moins possible d’y aborder tous les sujets, les démonétisations sont courantes dès lors que l’on aborde des choses qui pourraient diviser l’opinion. En résulte des contenus lisses et sans profondeur que la plateforme préfère mettre en avant pour séduire les annonceurs qui ne souhaitent pas réellement qu’on leur propose une audience capable de réfléchir. Le fameux « temps de cerveau disponible » cher à Patrick Le Lay.
Finalement ces vidéos feat & fun avec des cuts et des zooms ne sont que des produits qui permettent de diffuser des publicités. Les vidéastes stars ne devenant alors que des hommes sandwichs usant d’une certaine notoriété permettant aux annonceurs d’être vus. Et c’est probablement pour cette raison que YouTube est de plus en plus triste, en vérité. Parce qu’on ne crée plus de débats et on ne parle plus de sujets importants dans tout ce qui est populaire, au risque de perdre une partie de son audience et de générer moins de revenus.
La politique et la publicité sont-elles incompatibles ?
Sans aller dans de grands débats droite/gauche, le simple fait de soutenir des minorités, d’évoquer des problèmes sociétaux, même de manière amusante, semble être des choses assez absentes des tendances de YouTube. Pourtant lorsque l’on regarde un peu la communications des marques ces dernières années, on sent tout de même qu’il y a parfois des prises de positions. On l’a vu, par exemple, avec de nombreuses sociétés qui ont affiché leur soutient au mouvement Black Lives Matter. Parce qu’une marque a beaucoup plus d’intérêt à être progressiste de nos jours dans une société qui change. Même au risque de se couper d’une certaine partie de sa clientèle qui peut avoir des idées extrémistes. De manière générale, la tolérance est bien plus populaire que la haine et ces prises de positions fédèrent plus qu’elles ne divisent au grand dam des conservateurs et autres puritains.
S’il est évident qu’une marque n’a pas envie d’être associée à des idées d’extrême droite, en revanche, il n’y a aucune raison de ne pas vouloir soutenir un vidéaste qui pourrait parler de nazisme d’un point de vue historique. Car encore aujourd’hui, il reste indispensable de se souvenir comment toute une nation a pu sombrer dans l’obscurantisme à ce point. Une histoire qui, malheureusement, semble se répéter. Même en France. Le problème ici, c’est que ce sont les algorithmes froids et sans Humanité qui font le tri sur les vidéos qui pourraient potentiellement être monétisées et mises en avant. Une chose qui explique ce conglomérat de contenus lisses et sans fond que propose régulièrement le fameux onglet tendances de YouTube.
A la vitesse où vont les choses et les problèmes de visibilité qu’entraînent les démonétisations, l’avenir de YouTube s’annonce particulièrement triste. Il ne faut pas se voiler la face, le but de Google n’est pas d’offrir une plateforme qui permet à chacun de s’exprimer mais plutôt une plateforme qui permet aux annonceurs d’être vus. C’est tout le problème des contenus gratuits financés par la publicité. Même la presse doit faire face à ce genre de choses. Difficile pour un journal politisé de trouver des marques prêtes à mettre de l’argent pour s’afficher auprès de contenus qui peuvent aborder des sujets très délicats. C’est un modèle économique qui montre ses limites.
Vers des marques engagées ?
Parce que tout le fond du sujet, ce sont les annonceurs. Même si ce sont souvent des postures essentiellement marketing, bon nombre de marques s’engagent dans certains combats. Un choix tout à fait logique dans une société qui ne veut plus de racisme, d’intolérances ou d’inégalités. Même si ça fera grincer des dents aux boomers ou aux quelques conservateurs, les jeunes générations ont des positions bien plus radicalisées sur ces questions qu’on pu avoir tous les mouvements progressistes dans le passé. Il semble donc essentiel pour ces marques de s’adapter à cette nouvelle société en devenir. Certes il y aura toujours des râleurs mais il est bon de rappeler que ces vieilles idées nauséabondes n’intéressent qu’une population vieillissante et qui commence à être en décalage avec la société.
De nos jours, une marque a naturellement plus d’engagements sur les réseaux sociaux si elle adopte une posture progressiste. Un mouvement populaire qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, a plus tendance à fédérer que diviser. Introduire l’écriture inclusive, par exemple, dans ses communications fera râler quelques grincheux mais pour bon nombre de personnes cela est perçu comme une certaine avancée sociale. On estime d’ailleurs qu’une marque qui opte pour l’inclusivité peut potentiellement toucher entre 15 et 20 % de personnes en plus. Une chose qui fera probablement du bruit sur une plateforme comme Twitter mais dans la pratique, les gens auront plus de sympathie pour la marque.
Même si, malheureusement, nous avons souvent affaire à du greenwashing, les questions écologiques touchent de plus en plus de personnes. Autre sujet important pour l’avenir de notre société. La plupart des marques n’ont pas attendu nos politiques pour prendre des engagements. Parce que fabriquer des produits plus propre est devenu un vrai argument commercial de nos jours. Si on a entendu quelques ouin ouin lors de la suppression des pailles chez McDonald’s, dans la pratique c’est une chose qui a été plutôt bien accueillie. Même si cette enseigne a sûrement beaucoup d’autres choses à se reprocher en matière environnementale et sanitaire.
Et YouTube dans tout ça ?
Il me semblait important d’évoquer cette approche qu’ont certaines marques avec certains enjeux politiques. Il ne faut pas se leurrer, elles auront toujours des positions populaires afin de séduire le plus grand nombre. Fort heureusement pour nous, ce sont des valeurs positives qui sont populaires. Reste à savoir si ces postures auront un réel impact sur la manière de fabriquer et de vendre des produits. Toujours est-il qu’une marque pourrait tout à fait trouver son intérêt à sponsoriser un contenu engagé. Le problème reste et restera toujours ces systèmes automatisés que les annonceurs ne peuvent pas réellement contrôler. Comme alternative, il y a le sponsoring direct qui prend de plus en plus de place chez certains vidéastes qui peuvent régulièrement être démonétisés. Dans la pratique, c’est quelque chose sur laquelle Google n’a plus la main et il serait étonnant que les choses continuent encore longtemps comme ça avant que le géant de la recherche n’impose sa solution.
A force de lisser ses contenus (de manière consciente ou pas), on généralise une certaine forme d’abrutissement des masses et c’est assez triste de se dire que pour « percer » sur YouTube, il ne faudrait pas froisser une certaine franche de la population qui, pour l’essentiel, est une minorité avec des idées relativement dépassées. En réalité, aurions-nous un problème à voir une publicité pour de la lessive avant une vidéo qui parle de sexe ? Il y aurait-il un souci à montrer son produit chez un vidéaste qui parle d’écologie ? La réponse est claire : non. Toutefois la façon dont Google aborde la publicité est toujours aussi timide. Un manque de courage évident de la part d’une société qui a un quasi monopole sur ce secteur. De quoi inquiéter donc.
Pourtant, ce sont clairement les vidéastes populaires, toujours fourrés dans les tendances YouTube, qui ont le pouvoir de faire évoluer les choses. Même si on sent que des Squeezie et autres Amixem ont de vraies valeurs, il est assez regrettable qu’ils ne fassent qu’effleurer certains sujets. Faire du contenu est une chose mais faire du contenu avec du sens est d’autant plus pertinent si l’on souhaite servir à quelque chose. On peut être un amuseur, se dire qu’on est juste là pour le fun mais à tous ceux là j’aimerais leur demander s’ils n’ont pas le sentiment de n’être que des produits qui n’ont aucun impact et qui seront oubliés le lendemain.
Les vidéastes ont le pouvoir, pas YouTube
On pourrait croire que Google n’a pas besoin de ces vidéastes qui attirent les foules mais dans la pratique, ce sont la popularité de ces personnes qui ont fait de la plateforme ce qu’elle est devenue. Sans vous, YouTube n’existerait même pas. Peut être est-il temps de se réapproprier cet outil qui peut être formidable ? N’aurait-on pas tout intérêt à apporter de la réflexion à son audience même si cela doit passer par l’humour ? Ca n’est pourtant pas la créativité qui bride tous ces YouTubeurs mais cette course à l’algorithme pourrait bien avoir des effets très néfastes à l’avenir. Veut-on d’un média lisse qui n’existe que pour faire plaisir aux annonceurs ou veut-on travailler avec eux pour pouvoir être plus libre de penser et d’exprimer ses idées ?
Bien entendu, on peut toujours produire des choses marrantes ou sans prise de tête mais est-ce que cela signifie que l’on ne doit plus parler de rien ? On dit souvent qu’il y a de la place pour tout le monde sur YouTube. Soyons clairs, c’est faux. Lorsqu’une vidéo qui aborde des sujets autour du racisme, des communauté LGBT+ et même parfois d’écologie, elles sont démonétisées et perdent en visibilité. Un robot lésé qui ne sait pas comprendre pourquoi certains termes sont utilisés. Parce que l’évocation de certains mots vous invisibiliseront, tout simplement. Est-ce juste ? Clairement non. Les marques sont-elles responsables ? Pas toutes.
Au delà de l’engagement que devraient avoir certains vidéastes, c’est le système de monétisation tout entier qui devrait être repensé sur YouTube car il ne favorise que ces contenus « qui ennuient ». Et si les annonceurs pouvaient décider eux même sur quelles vidéos ils souhaitent apparaitre même si elles ne sont pas marquées comme « ad-friendly » ? Il y a probablement du pouvoir à reprendre des deux côtés. On ne peut pas laisser des algorithmes penser à notre place. Ce serait injuste et dangereux.