Voilà maintenant plus de 10 ans que nous parlons de cet autre porno. Que ce soit les productions indépendantes, alternatives ou amateurs, difficile de ne pas trouver de quoi se sustenter. Pourtant il existe toujours cette vielle industrie qui utilise, encore aujourd’hui, ces vieux poncifs délavés. La pornographie peut-elle changer ?
« On ne peut plus rien dire ! »
En une décennie, on a vu passer de nombreuses images. Une chose est certaine c’est qu’il y a de plus en plus une appétence pour les contenus de qualité. Avec l’apparition des tubes, dans l’imaginaire collectif, le porno est gratuit. Pourtant, dans la pratique, ce divertissement demande beaucoup de travail et de moyens pour exister. Une nouvelle manière de consommer ces médias qui a clairement entrainé une certaine forme d’industrialisation et une course au buzz. Les récentes affaires dans l’industrie française ont montrées qu’il fallait changer les choses. Des pratiques intolérables qui ne devraient plus exister en 2022. Entre exploitation humaine, proxénétisme et autres abus sexuels, le porno français qui se cache derrière une image qui se veut « cool » a pourtant pas mal de travail à faire sur ces questions. Le « porno à papa », bien ringardisé face aux productions actuelles plus confidentielles, est aussi un héritage de veilles traditions patriarcales. Ciblant majoritairement les hommes, ces productions passent non seulement à côté de la moitié du marché réel mais aussi de l’aspect artistique que l’on ne trouve que dans le porno alternatif.
Pourtant la France, c’est aussi le pays de la libération sexuelle et de longs métrages pour adultes qui ont fait les beaux jours des cinémas des années 70 à 80. De nombreuses comédies érotiques/pornographiques ont vu le jour à cette époque (parce que le sexe c’est rigolo, tu vois). Et bien que ces films pouvaient avoir de la peine à faire passer des messages intéressants, il y avait tout de même une tradition de l’envie de bien faire. C’est quelque chose que l’on voit encore un peu chez Dorcel. Une entreprise qui recycle les clichés à tour de bras, on en fait vite le tour. S’il y a bien des tentatives de mettre en avant des contenus plus intéressants, le tout est noyé dans des prods discutables. On passera aussi sur le pro-am qui est gênant à plus d’un titre que ce soit au niveau de la réalisation, de ce qui s’y dit mais aussi du cringe général qui s’en dégage. La vérité c’est que le porno mainstream français est très triste. On ne s’étonne donc pas qu’il puisse y avoir des dérapages dans le milieu du divertissement adulte dans notre pays.
Plusieurs fois par le passé, nous avons eu affaire à des débats houleux avec certains réalisateurs qui ne comprenaient pas à quel point ils étaient gênants. On aura même reçu quelques menaces de mort et autre mises en demeure. Parce que c’est tout ce que l’on mérite lorsque l’on donne son avis sur une œuvre. Nous sommes face à un manque d’écoute évident. On accuse rapidement le piratage et le manque de moyens alors qu’en face, on trouve des amateurs qui font bien mieux avec un iPhone. Encore aujourd’hui, on constate que peu de choses ont évolué malgré les différentes affaires qui ont pu faire surface dans la presse ou les différentes enquêtes qui ont été réalisées par des journalistes. Tout cela s’est naturellement traduit par des procès, des accusations de la part des travailleurs·euses du sexe mais aussi des condamnations. Personne n’a été étonné.
Le porno éthique : une réalité
A vouloir toujours mettre la pornographie sous le tapis, l’industrie a été ghettoisée, devenue tabou. A tel point qu’il semble encore impossible d’avoir un débat public sur la question. La seule solution imaginée c’est le blocage (comprendre la mise en place d’un outil de censure). Aucune réflexion, aucune consultation de la part de nos dirigeants pourtant les premiers à consommer du sexe virtuel et réel (on a des noms). Le puritanisme des réseaux sociaux n’aidant clairement pas à mettre en œuvre un vrai débat, la pornographie est peu discutée. On se retrouve alors avec des décisions politiques qui n’ont aucun sens et on a réellement le sentiment qu’elles sont prises sans aucun discernement ou compréhension du sujet. Un système de blocage soutenu par des entreprises comme Dorcel qui y auraient beaucoup à gagner en éliminant ainsi toute concurrence. Il semble nécessaire de rappeler qu’ils ont toujours soutenu cette censure à grande échelle.
Toutefois certaines choses changent. Suite à ces nombreuses affaires rendues public, la société Dorcel a mis en place une charte éthique. Une manière de contrer le bad buzz et d’améliorer son image écornée. Toutefois l’instauration d’un tiers de confiance est déjà un bon début. Jacquie & Michel, toujours dans la tourmente, leur ont emboité le pas également. Difficile de dire ce qui se passe encore en coulisses mais on sent qu’il y a là un début de quelque chose. Une éthique nécessaire afin d’éviter, à l’avenir, toutes ces dérives innommables. On espère aussi que les droits fondamentaux des travailleurs (parce que le droit travail existe) sont aussi respectés. Ces 10 dernières années, nous n’avons pu que constater que bon nombre de réalisateurs payaient « en fraiche » et ne proposaient pas toujours des contrats. Encore une fois, le fait de mettre sous le tapis la pornographie et de ne pas considérer les travailleurs·euses du sexe entraine forcément des dérives. Il y a là un véritable travail culturel à faire.
Quand on parle de porno éthique, cela ne concerne pas seulement les conditions dans lesquelles sont réalisées les scènes mais aussi ce qu’elles ont à dire. J’évoquais plus haut cette vieille tradition française à faire des longs métrages, une tradition qui a émergé avec la libération sexuelle. Symbole d’une époque et malgré son apparence un peu beauf, ce porno tentait de dire quelque chose. Même si c’était souvent maladroit, il y avait là une forme de message politique. Bien que l’on ne regrette absolument pas cette époque, le fait est que le porno mainstream a perdu de vue cette approche.
« Elles nous font chier ces féministes aux cheveux bleus »
A l’époque, ce magazine (ndlr : BuzzPorn!) était né d’un constat : on n’était pas à l’aise face à certains porn. On sentait que ce qui se passait à l’image n’était pas normal. Rapidement nous nous sommes tournés vers les contenus alternatifs. Que ce soit le porno féministe, éthique ou amateur, il y avait là une autre proposition. Regarder un vrai couple qui fait l’amour change complètement notre conception de ce divertissement. S’il y a, bien entendu, une place pour les productions plus « chics », voir des personnes réelles avec des physiques réels montre que le sexe n’est pas aussi formaté que ce que nous montre le mainstream. Découvrir, également, qu’il est possible de faire un gonzo tout en y abordant l’aspect consentement a réellement changé notre manière de voir la pornographie mais aussi la manière dont on la consomme. Depuis toujours, nous vous avons toujours invité à vous intéresser à ceux qui produisent ces contenus mais aussi comment ils sont faits. Si on se laisse facilement tenté par des produits sans OGM et bio, il devrait en être de même pour la pornographie.
Parce que la contestation féministe n’est pas montée pour rien dans ce milieu. Les femmes consomment aussi du porno mais l’ensemble des productions est assez phallocentrée. Bien que les lignes semblent un peu bouger dans certaines productions mainstream américaines, en France, nous sommes malheureusement encore très ancré dans un vieux modèle qui cible les hommes. Il était donc assez naturel que les femmes passent derrière la caméra afin d’offrir un autre regard qui s’attarde un peu plus sur ce qui fait réellement vibrer. Là où la pornographie classique s’arrête après l’orgasme masculin, le plaisir féminin trouve naturellement sa place dans ces prods alternatives. Dans la pratique, on y trouve tous les kinks possibles et imaginables à la différence près qu’on nous les montre d’une autre manière. Bizarrement c’est ce porno qui tente de dire des choses aujourd’hui. Alors que dans les années 70/80 c’était le porno populaire qui le faisait. Un twist assez curieux finalement.
L’autre apport de ces alternatives, c’est aussi la diversité. Si on y trouve des corps de toutes les tailles et de toutes les couleurs, il peut aussi offrir des pratiques ou des orientations que l’on aurait pas imaginé apprécier. Très clairement ce porno permet aussi de se découvrir sexuellement. On s’éloigne de ce poncif hétéro avec une blonde à forte poitrine (vous êtes encore là-dessus ?). Il semble qu’il y ait, effectivement, un effort intellectuel à faire pour sortir de ces clichés mais il est certain qu’on ne va pas se priver de son plaisir personnel pour faire plaire à une société très normée.
Comme à la maison
Ces productions alternatives sont rarement sur les tubes. L’idée étant aussi de pouvoir récupérer l’ensemble de revenus pour mieux rémunérer tous ceux qui participent à la création. Parce que l’éthique dans le porno, c’est aussi ça. Mieux considérer les travailleurs·euses du sexe. C’est la base. On a aussi vu ces dernières années l’émergence de createurs·trices notamment grâce à des plateformes comme OnlyFans ou MYM. Bien que ces plateformes se servent largement dans la caisse, elles permettent toutefois une certaine indépendance. On peut produire son contenu payant et le diffuser simplement. Un site comme PornHub permet également de le faire. Finalement on peut se passer de toute la chaine de production et éviter ses dérives en proposant soi-même ses contenus. Là aussi, ça change beaucoup de choses. Cela apporte notamment une certaine proximité que l’on ne trouve pas ailleurs avec, à la clé, des photos ou des vidéos qui peuvent être personnalisées.
Un porno artisanal qui n’a parfois rien à envier aux grosses prods. Il y a réellement une demande pour ça. Une authenticité que l’on a un peu perdu avec le web moderne. Il n’est donc pas étonnant qu’une plateforme comme TikTok soit très populaire auprès des plus jeunes. Il y a un besoin de se sentir proche des createurs·trices. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que Sex.com y va de sa version pour adultes. Les mœurs changent, notre manière de consommer la pornographie également. Une chose que ces vieilles entreprise du porn ont encore du mal à comprendre. Un changement qui s’est clairement amorcé il y a plus de 10 ans maintenant mais qui est en train de devenir une nouvelle norme. Soutenu par la mobilité qui permet d’avoir accès à ses contenus comme bon nous semble. C’est d’ailleurs une chose qui a grandement favorisé la consommation de porno par les femmes.
Le côté positif, c’est que l’offre s’est grandement étoffée. La génération post-boomer dont je fais partie a été élevée à la VHS avec un porn un peu beauf parce qu’on n’avait pas d’autres choix. Aujourd’hui on peut trouver des choses qui nous correspondent plus, capables de satisfaire notre sexualité quelque soit notre genre ou notre orientation. On peut mettre beaucoup d’étiquettes sur neoporn mais le fait est qu’il répond enfin à la demande.
Le futur du porno ?
Il ne fait aucun doute que la pornographie vie avec son époque. Certains resteront sur le carreau, ça ne fait aucun doute mais dans les faits, on se rend compte que les nombreuses alternatives qui existent prennent de plus en plus de place sur le marché du divertissement adulte. Encore une fois, c’est quelque chose qui était déjà repérable il y a plus de 10 ans. On ne produit plus ses contenus comme on le faisait il y a 20 ans. La manière de vendre a aussi changée. On a intégré beaucoup plus de réel face un porno éculé qui, selon nous, vit ses dernières années. Le modèle mainstream français est un bon exemple, on voit bien que ce porno ne se vend plus comme avant. Une des raisons qui explique pourquoi les entreprises historiques dans notre pays tentent de se diversifier dans le merch ou la vente de sextoys. Leur porno est en passe de devenir un produit d’appel surfant sur la notoriété de leurs marques.
Le porn est ailleurs désormais. Il change et s’adresse désormais à plus de monde. Il s’est adapté à une société qui évolue. Le marché est maintenant bien plus fragmenté et offre la possibilité à de nombreux·euses créateurs·trices d’exister. Une chose qui était particulièrement plus complexe au début de l’Internet. Aujourd’hui, les outils de production et de diffusion ne manquent pas. A tel point que c’est en train de devenir la norme un peu partout. Bien entendu, il y aura probablement encore de la place pour de plus grosses prods mais est-ce vraiment ce que voudra le public dans quelques années ? Je n’en mettrai pas ma main à couper. Le fait est que de plus en plus, on se tourne vers ces nombreuses alternatives.
Le gros ménage nécessaire sur les tubes va aussi favoriser ce porn alternatif avec des options payantes. Petit à petit, on se réapproprie la pornographie. Pour le consommateur, il y a aussi une prise de conscience de l’intérêt de soutenir financièrement les contenus qu’il apprécie. Une culture du tips qui est apparu chez nous, selon moi, avec l’explosion de Twitch qui, basiquement, n’a fait que copier le modèle des sites de webcams. Une chose que l’on commence aussi à voir sur YouTube mais aussi TikTok. Je pense sincèrement que les gens sont maintenant bien plus au fait de ce qu’implique la création de contenu. Que ce soit en terme de temps mais aussi de moyens à déployer.
Il faut, je crois, se réjouir de ce qui est en train de se passer. En revanche le puritanisme et la censure pourrait réellement être un frein à cela. Encore faudrait-il être en mesure d’en discuter sérieusement. Malheureusement il faut composer avec des politiques conservateurs qui sont très clairement en décalage avec les nouvelles générations qui rêvent d’un autre monde.