Ces dernières semaines ont été assez dures pour les travailleurs·euses du sexe sur Internet. En effet, un amendement ajouté à la hâte dans un texte de loi contre les violences conjugales veut obliger les sites pour adultes de vérifier l’âge de leurs utilisateurs sous peine d’être censurés en France. Totalement hors sujet, ce thème n’aura même pas été débattu avec les premiers intéressés.
Une histoire de lobbying avant tout
Soutenu dès le début par la société Dorcel qui propose uniquement ses contenus derrières des paywalls, cet amendement visait essentiellement ses concurrents comme des tubes populaires comme Xvideos, PornHub ou les sites gratuits de Jacquie et Michel. On comprend mieux l’intérêt de cette société à voir cette loi mise en application puisqu’elle va affecter le modèle économique de ses principaux concurrents. Malgré une posture de chevalier blanc et un discours qui se veut en faveur de la protection des mineurs, la réalité est un peu plus glaçante. L’effet pervers de cet amendement c’est aussi le risque qu’il mette en danger des travailleurs·euses du sexe indépendants qui pourraient se retrouver sans revenu du jour au lendemain.
A un moment où de nombreux acteurs du secteurs montent au créneau pour dénoncer certaines conditions de travail, l’autre effet pervers d’un tel blocage c’est que cela risque d’étouffer encore plus leurs voix. D’autant plus que la plupart des réseaux sociaux censurent de nombreuses choses ou pratiquent le shadowban pour ces personnes. Les médias spécialisés comme La Voix du X, Le Tag Parfait ou encore BuzzPorn! risquent également d’être censurés alors que rares sont les sites qui traitent de l’actualité de ce secteur. D’une certaine manière, cette censure va aussi museler une certaine liberté d’expression et des points de vues que l’on ne retrouvera plus jamais dans la presse mainstream. Autant le dire tout de suite, les seuls qui auront de la visibilité, c’est la société Dorcel qui pourra communiquer comme elle veut sans être réellement inquiétée.
La censure est un mauvais outil
En quelques clics, la censure peut être contournée. Autant le dire tout de suite, cet amendement n’est pas encore mis en application qu’il est déjà obsolète (D’autant plus qu’il est relativement simple de se procurer des numéros de e-carte pour contourner un système de vérification ou de falsifier un scan d’une carte d’identité). Depuis toujours la censure a été la solution de choix pour « lutter » contre la pornographie mais est-ce réellement une lutte ? Il faut bien prendre conscience que l’on parle de quelque chose qui touche à la sexualité et si, bien entendu, cela ne reflète pas toujours la réalité, il aurait été beaucoup plus pertinent d’éduquer les jeunes adultes qui ne sont pas aussi bêtes qu’on aimerait nous faire croire. La plupart d’entre eux ont bien conscience qu’il s’agit de cinéma. Tout comme ils arrivent à comprendre que la violence dans le jeu vidéo n’est pas quelque chose qu’il faut reproduire dans la vraie vie.
Bien entendu, l’idée n’est pas de laisser en libre accès la pornographie aux plus jeunes. Il est regrettable qu’il n’y ait eu aucune table ronde avec les opérateurs qui auraient dû travailler ensemble pour proposer un filtre parental standard, gratuit et simple d’utilisation. Parce que dans la pratique, si on avait pris le temps de discuter avec les parents, le principal problème vient essentiellement des outils qui sont disponibles chez tous les FAI et qui ne sont pas forcément faciles à prendre en main. Qui de mieux placés que les parents pour savoir ce que leurs enfants peuvent consulter sur Internet ? D’une certaine manière on infantilise la population. Dans la pratique, la majorité des parents sont suffisamment responsables pour surveiller l’utilisation que font les plus jeunes de l’Internet. Blocages ou pas, il y aura toujours des échanges de contenus pornographiques et pourtant rien n’a été fait pour assurer une bonne éducation sur ces sujets hautement importants. Parce que les violences faites au femmes ne viennent pas des divertissements que l’on consomme mais de l’éducation que l’on reçoit.
Complètement hors sujet
Cet amendement n’avait clairement pas sa place dans ce texte de loi. Il a été glissé là pour qu’on ne puisse pas en débattre. Le but ici, c’est clairement une forme de censure nauséabonde qui risque d’avoir des effets collatéraux plutôt dangereux. Si la jeunesse se réfugie dans la pornographie, c’est de toute évidence parce que c’est le seul moyen de comprendre comment fonctionne la sexualité. D’aussi loin que je me souvienne, c’est bien la pornographie qui m’a personnellement permis de découvrir le corps des femmes. A aucun moment dans mon éducation ce sujet n’avait été abordé. Il aura fallu dérober une VHS en cachette pour enfin voir ce qu’était le sexe. Très clairement, le problème n’est pas nouveau et du haut de mes 40 ans je réalise que rien n’a évolué sur cette question. Pourquoi ne parle-t-on pas des sexualités à l’école ? Pourquoi n’évoque-t-on jamais le consentement ? Pourquoi n’explique-t-on pas ce qu’est un comportement toxique ? Des choses auxquelles les plus jeunes n’auront jamais de réponses. Le problème, ça n’est pas le porno.
Pour de nombreux entrepreneurs·euses du secteur adulte, la protection des mineurs est un sujet important. On aurait tord de penser que cette industrie ne se sent pas concernée. Nombreux sont les sites pour adultes qui donnent des conseils pour les parents ou les redirigent vers sites et des applications qui peuvent les aider dans cette démarche. Le vrai souci c’est qu’il n’existe pas de solution universelle claire et c’est là où il y aurait pu avoir une vraie discussion. Mettre en place un contrôle parental par défaut sur toutes les connexions aurait été plus pertinent. A condition, bien sûr, d’offrir aux utilisateurs une interface simple à prendre en main. C’est tout à fait faisable et c’est aussi une bonne manière de ne pas déresponsabiliser certains parents. Le CSA aurait toujours eu son mot à dire quant aux sites qui devraient être filtrer. Malheureusement, c’est l’option de la censure qui a été choisie.
Un porno porteur de valeurs
En France, il y a un vrai problème avec la pornographie. Les géants de l’industrie proposent des contenus pas toujours très reluisants notamment dans le secteur du pro-am (des amateurs filmés par des professionnels) où les vidéos sont tournées à la chaine et pas tout le temps dans de bonnes conditions. Effectivement, on peut comprendre que l’on n’ait pas envie que les plus jeunes découvrent leur sexualité de cette manière. Un porno gênant, parfois dérangeant, pour ne pas dire totalement beauf. Toutefois, il existe de nombreuses pornographies et mettre tout le monde dans le même sac n’est pas juste. On peut évoquer le porno réalisé par des femmes qui prend souvent des postures féministes et qui transmet certaines valeurs comme le consentement, le respect et la diversité. Malheureusement le marché dans notre pays est très largement dominé par ce que l’on peut qualifier sans crainte de « mauvais porno ». Cette censure va surtout affecter ceux qui œuvrent pour proposer une alternative. Ca n’est pas Dorcel qui va souffrir de ces blocages mais les nombreux indépendants qui tentent depuis des années de proposer une autre vision de la pornographie et qui souhaitent montrer toutes les sexualités (et proposer leurs contenus sur Dorcel Vision serait une manière de perdre leur indépendance).
Parce que ces blocages ne sont pas anodins et que cela va bien plus loin que la protection des mineurs, il est nécessaire que cet amendement soit purement et simplement supprimé et que l’on prennent le temps de discuter du sujet plus sérieusement. Malheureusement, il semblerait qu’un certain puritanisme continue inexorablement à s’installer et que le sexe continue à être tabou alors que c’est l’une des plus belles choses de la vie. On devrait en parler positivement et ne pas lui faire la guerre sans cesse. Que cela nous plaise ou non, les jeunes adultes vont naturellement devenir curieux en grandissant et ils auront besoin, d’une manière ou d’une autre de découvrir leurs sexualités. Il ne faut pas que seule la pornographie ait ce rôle mais malheureusement avec ou sans censure, c’est encore le seul moyen qui existe pour eux. C’est peut être là tout le fond du problème.