Lourdeur, toxicité et sexisme dans les milieux du metal

Vous ne le savez peut être pas mais je suis un grand amateur de metal. Je ne compte plus le nombre de concerts et de festivals que j’ai pu faire dans ma vie. J’avais commencé à faire ma petite enquête auprès de femmes qui fréquentaient ce milieu (côté artistes et côté public), il y a quelques mois de cela. Malheureusement avec le COVID, les concerts ont cessés et j’avais un peu laissé tombé. Je me suis donc tourné vers les réseaux sociaux et j’ai recueilli quelques témoignages qui me paraissent intéressants (les prénoms ont été changés).

Concert metal

La grande famille du metal

Tous ceux qui ont déjà fréquenté le milieu du metal vous le diront. Dans sa vaste majorité, c’est une communauté plutôt bienveillante et bon enfant. De mémoire de metalleux, j’ai du voir une seule bagarre en concert en plus de 20 ans. S’il peut y avoir des échauffements, ça se règle souvent autour d’une bière. Mine de rien, la musique metal a longtemps été plus ou moins confidentielle mais ces dernières années il y a eu une réelle explosion du mouvement propulsé notamment par des festivals comme le Hellfest ou le Motocultor. Définitivement cette scène musicale fait désormais partie du paysage culturel de nos jours. Une popularité grandissante qui a forcément amené des problèmes avec elle.

Ayant aussi pu discuter avec la sécurité durant des évènements, la plupart des vigiles s’accordent à dire qu’ils ont moins de choses à gérer et s’il y a toujours des débordements, de manière générale ces concerts semblent plutôt bien se passer de leur point de vue. Une chose que je peux confirmer personnellement et si certains hommes peuvent dépasser les bornes, il est rarement compliqué de les ramener à la raison. Pourtant cette communauté brasse des personnes de tous horizons. Que ce soit le chef d’entreprise, l’ouvrier ou l’employé de bureau, tout ce petit monde semble réussir à vivre ensemble lors des concerts et des festivals. Toutefois, une fois la première couche passée et quand on gratte un peu la surface, certains comportements toxiques peuvent apparaitre comme partout ailleurs.

De la fosse à la scène

Quelques musiciens m’ont rapporté des problèmes avec un certain public qui a la fâcheuse tendance à monter sur scène et à y rester. Selon Charles, c’est « un moment gênant et il est difficile de parler à ces mecs quand on est au beau milieu d’un set ». Il raconte aussi qu’il y a toujours « un type qui passe son temps à slamer, c’est pas toujours agréable pour le public devant la scène qui a perpétuellement un gars au dessus de la tête ». Des comportements de « mecs bourrés » selon lui mais qui peuvent être pénibles parfois et de rajouter : « la scène c’est pour les artistes et si on acceptent que les gens montent pour sauter, ça rend la prestation compliquée quand il y a un énergumène qui se balade parmi les musiciens, on aimerait que ça arrive moins souvent ».

Camille explique que « certaines règles sont établies de manière tacites, les habitués les connaissent bien mais ça n’est pas toujours le cas des nouveaux venus. De ce que l’on voit, il y a toujours des personnes qui veillent au grain dans le public mais si on accepte que ça devienne extrême, il ne faut pas oublier que l’on n’est pas tout seul. Il faut rester prudent. Alcool ou pas, il faut toujours faire attention avant de se lancer dans des trucs acrobatiques. Nous avons des amis qui pratiquent le KDS (ndlr : Karate Dance Style), ils font reculer les gens avant de faire leur performance. C’est important ».

A été aussi évoqué, plusieurs fois, le moshpit « qui sort de nulle part » souvent initié par quelques personnes dans le public. Toujours selon Charles : « C’est un moment qui peut être fun mais il arrive régulièrement qu’un seul mec se croit chez lui et commence à bousculer les gens. Il faut bien comprendre que tout le monde n’a pas envie d’y participer. Il peut y avoir des personnes fragiles dans la fosse et il faut prendre soin d’eux. Généralement c’est le groupe qui l’organise laissant le temps à ceux qui veulent se mettre à l’écart de le faire. ». Des petites choses qui semblent assez minimes par rapport à ce qui suit.

Toxicité normalisée

Au delà de cette bonne ambiance, malheureusement, comme dans la plupart des secteurs il subsiste toujours des comportements déplacés envers les femmes. Si c’est essentiellement issu d’une certaine minorité du public, les faits sont souvent minimisés sous couvert d’humour. Pourtant les blagues potaches et un peu beauf sont assez courantes. Si on peut rire de tout, une certaine lourdeur peut apparaitre. C’est en tout cas ce que m’a rapporté Elisabeth qui m’a expliqué qu’elle a une poitrine plutôt importante et reçoit régulièrement des commentaires sur la taille de seins. Si elle n’a pas franchement de problème avec son corps et ces blagues, elle explique qu’entendre la même chose 50 fois dans le même concert à tendance à l’agacer et on la comprend. Idem pour Mathilde qui aime avoir un look « un peu sexy ». Selon elle, le milieu metal est le seul endroit où elle peut s’habiller comme elle l’entend mais me fait remarquer qu’elle a souvent le droit à des réflexions du genre « beau petit cul » ou « super le décolleté ». Pour elle, l’ambiance très décontracté est propice pour certains hommes à se lâcher un peu plus. Des comportements qu’ils n’auraient pas forcément ailleurs.

Camille, chanteuse dans un groupe de hardcore, m’a aussi expliqué recevoir régulièrement des mots du public qui l’invite, je cite, « à retourner à la cuisine » ou à « montrer ses seins ». Selon elle, c’est le genre de comportements qui n’incitent pas les femmes à monter sur scène pour jouer dans un groupe. Parce que le metal c’est « un truc de bonhomme ». Il est aussi vrai que l’on entend souvent des « c’est pas de la musique de pédé » ou d’autres petites remarques de ce genre qui peuvent être blessantes pour certaines personnes. Alexandre, homosexuel, confirme souvent entendre la même blague régulièrement avec un « va te faire enculer » sur un ton humoristique. S’il semble s’en amuser, il affiche tout de même un certain agacement car, selon lui son orientation est systématiquement associée à une pratique sexuelle. Là encore, on m’évoque une certaine lourdeur. De manière plus générale, ce sont souvent les femmes qui reçoivent le plus de remarques. De ce que j’en ai vu, beaucoup minimisent le problème car ça ne va jamais plus loin que l’humour un peu beauf.

Attouchements dans le public

Lorsque la lumière s’éteint, il semble aussi se passer des choses dans la fosse. C’est en tout cas ce que m’a raconté Romane qui m’explique qu’elle se fait régulièrement toucher les fesses dans le public. Si les contacts sont inévitables, elle affirme qu’une fois sur deux c’est volontaire et qui lui est même arrivé de quitter le devant de la scène pour cette raison : « c’était insupportable, une bande de mecs passaient leur main sur mon cul à tour de rôle ». La promiscuité semble réellement être une belle occasion pour les profiteurs. Lucie m’a expliqué que lors de slams (lorsque l’on saute sur le public depuis la scène), elle se fait régulièrement toucher la poitrine. Une chose que j’ai déjà personnellement vu, certains hommes profitant de l’occasion pour toucher les femmes. J’ai d’ailleurs souvenir d’un tel cas et où le type en question avait rapidement été recadré par les personnes autour de lui.

Plus grave, Margot me raconte qu’il lui ai déjà arrivé de sentir une main dans sa culotte pendant un concert. Elle a immédiatement prévenu la sécurité qui a tout de suite fait sortir cette personne. Elle avait déposé plainte mais comme elle n’avait pas le nom, ni une description précise de l’agresseur, l’affaire avait été classée sans suite (comme c’est souvent le cas, d’ailleurs). Même chose pour Éléna qui explique que quelqu’un lui avait dégrafé son soutien-gorge pour passer ses mains sous son t-shirt. Encore une fois, les personnes autour ont été plutôt bienveillantes et ont tout fait pour que l’agresseur soit mis à l’écart. Soyons très clair, il s’agit d’agressions sexuelles avérées et qui peuvent être punies par la loi.

De la bienveillance à l’agression sexuelle real quick

Il règne dans le milieu metal une certaine forme de bienveillance que l’on ne retrouve pas forcément ailleurs. Curieusement, j’ai eu plus de problèmes dans les festivals « grand public ». Entre vols et autres agressions. Pour être tout à fait honnête, c’est probablement le milieu où je me sens le plus à l’aise et où je peux être moi-même sans être jugé. C’est d’ailleurs une chose qui ressort beaucoup de la plupart des témoignages de femmes que j’ai pu recevoir. Toutefois, cela ne minimise absolument les comportements très toxiques que l’on peut y trouver.

En me lançant dans cette petite « enquête », je m’attendais surtout à des remarques sexistes et à des blagues un peu beauf mais, effectivement, en creusant un peu on réalise à quel point ce mal est partout. S’il est, encore une fois, nécessaire de ne pas minimiser ces faits, beaucoup des femmes qui sont venues me parler m’ont expliqué qu’elles n’avaient jamais eu de problème et, de mon point de vue, l’ambiance qui règne dans les concerts et les festivals metal est très bonne. Il y a une réelle concentration de personnes bienveillantes et si on se passerait bien des blagues un peu relous, ça ne va généralement pas plus loin. Bien que je pense que l’on peut rire de tout, le sexisme sous couvert d’humour participe, selon moi, à propager des idées nauséabondes. Pensez-y la prochaine fois que vous voudrez faire rire les copains.

Apes together strong

Si j’insiste sur la bienveillance générale de ce milieu ça n’est pas pour rien. Fréquentant le milieu de la musique depuis plus de 20 ans, c’est très clairement dans les concerts metal que cela se passe le mieux. Mine de rien, la communauté est très soudée et les gens font attention aux autres. Pourtant au delà des paillettes, il subsiste toujours des comportements dangereux et il est nécessaire de prendre soin de ceux qui vous entourent lors de ces évènements. On a le droit de s’amuser et de rire de tout si ça ne se fait pas au détriment des autres. Si j’ai toujours eu conscience de cet « humour lourd » mais en recueillant les témoignages de ces femmes, j’ai réalisé à quel point c’était systémique. Le metal est un milieu particulièrement masculin et il n’est pas toujours simple de s’y faire une place lorsque l’on fait partie d’un groupe d’oppressés.

Malheureusement, ça n’est pas le seul milieu touché par le comportement toxique des hommes mais il me semblait intéressant de vous parler de celui du metal que je connais bien. Pour terminer sur une note positive, bon nombre de femmes qui sont venu me parler insistent beaucoup sur le fait que c’est une communauté très respectueuse et, malgré les apparences, connait les limites à ne pas dépasser. Toutefois, il reste important de réaliser que tout n’est pas forcément rose non plus et qu’il est essentiel de rester vigilant quitte à faire un peu d’éducation lorsque c’est nécessaire. Ouvrir le dialogue est important si on souhaite que cette ambiance bon enfant perdure.

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