Travaillant dans l’industrie manufacturière et sur des lignes de montage depuis des années, il m’a paru intéressant de vous donner mon point de vue sur les produits qui sortent de ces usines les premiers jours de production. Dans mon expérience professionnelle (en dehors du web), j’ai assisté à de nombreux lancements de lignes et avec l’arrivée des consoles nextgen dans les mois prochains, ce regard me paraissait pertinent.
I don’t know what I’m doing
Lorsqu’une chaîne de production démarre, il faut savoir que le nombre de personnes impliquées est assez élevé. Entre les ingénieurs qui ont pensé la ligne, les ergonomes, les techniciens et les ouvriers, c’est toute une fourmilière qui se met en marche. Bien que, généralement, une grande partie des tâches est désormais confiées à des robots ou des machines, le facteur humain est à prendre en compte. En tout cas, au lancement d’une production. Concrètement, les outils ne sont pas maîtrisés par les opérateurs qui découvrent les fonctionnements quelques mois avant le démarrage. Les premiers produits sortent assez rapidement des lignes mais avec des cadences moindres. Le temps aux opérateurs de comprendre comment fonctionnent les outils et les machines mais aussi le temps qu’ils apprennent les gestes qu’ils devront répéter tout au long de la vie du produit.
De ce que j’en ai vu, les premières heures d’une ligne de production sont souvent dédiées à la découverte du produit, des outils et des machines. Il n’est pas rare que certaines tâches soient réalisées manuellement, laissant le temps aux techniciens de mettre au point certains paramètres machine. Un métier qui peut parfois être subtile et demander un certain apprentissage. Concrètement, les premiers produits qui sortent des lignes sont souvent montés de manière maladroite par des Êtres Humains qui ne sont pas à l’abris de faire des erreurs. Attention, je ne parle pas de produits défectueux mais d’un montage qui peut être assez aléatoire et qui n’est pas forcément au niveau de qualité pensé au départ. D’expérience, je dirais qu’il faut plusieurs mois pour que tout ce petit monde maîtrise parfaitement cet environnement de travail.
Des rustines ici et là
La conception d’un produit est aussi très complexe. Ce qui passe dans un logiciel 3D n’est pas toujours réalisable sur le terrain. On découvre alors des petits couacs, des pièces qui peuvent être difficiles à assembler et j’en passe. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on se retrouve rapidement avec de nouvelles versions des produits qui seront plus faciles à assembler dans l’usine. Ces fameuses « V2 » corrigent régulièrement ces petits soucis de production. Les ingénieurs en profitant pour améliorer certains composants et pièces qui, dans l’ensemble, se retrouve alors plus robustes. Certaines optimisations permettent aussi de réduire les coûts. Avec la montée en cadence et ces corrections, c’est souvent l’occasion pour un constructeur d’augmenter ses marges et, parfois, voir son prix de vente à la baisse.
Le problème du Joy-Con Drift chez Nintendo est assez parlant, selon moi. Bien que la marque ait vraiment tardé à réagir, ce genre de choses se produisent régulièrement sur les nouveaux produits. Des problèmes techniques qui apparaissent avec le temps et dont les ingénieurs auraient bien été incapables de découvrir sans une utilisation intensive même si de nombreux tests sont réalisé en laboratoire. Si le cas Nintendo est assez marginal, dans la plupart des cas, ce genre de souci est réglé rapidement dès qu’il est découvert et l’amélioration arrive très vite sur les lignes de production. Dans la vie d’un produit, il n’est pas rare que des modifications arrivent. Pour grossir le trait, je dirais que les meilleures machines de cette génération sortent des usines en ce moment. En un peu plus de 7 ans, l’industrie a appris à maîtriser les outils de production et une certaine routine s’est installée sur les lignes. Le personnel sait désormais ce qu’il fait et les différents robots et machines sont réglés à la perfection.
Qualité et garantie
Encore une fois, les premiers produits qui sortent des lignes de production ne sont pas forcément « mauvais » en soi mais il faut bien comprendre que ça peut être la loterie. Des problèmes qui doivent être relativisés par les nombreux contrôles qualité qui sont effectués tout du long de la ligne. Des contrôles qui peuvent être amenés à disparaître lorsque la production est bien maîtrisée et que peu de défauts ont été constatés. Cette surveillance généralisée limite beaucoup les erreurs de montage et participent à l’amélioration du produit. Je n’ai pas les chiffres de cette industrie mais, à la louche, je dirais que le taux de fiabilité doit être de l’ordre de 90% au lancement. Un chiffre qui peut atteindre facilement 99% au fil du temps. Un constructeur n’a aucun intérêt à livrer des produits défectueux. Les retours peuvent coûter cher. Nintendo en sait quelque chose.
Dans l’ensemble, je dirais que les premières consoles qui sortiront des lignes de productions peuvent avoir des micro-problèmes qui ne les empêcheront pas d’être fiables plusieurs années. L’achat d’une console Day One n’est pas forcément une mauvaise chose mais il faut bien avoir en tête qu’en laissant quelques mois s’écouler, on a plus de chance d’avoir un produit légèrement plus fiable. Toutefois, pour les plus impatients d’entre vous, je ne peux que vous conseiller d’attendre quelques semaines après la sortie pour avoir les premiers retours des utilisateurs qui, j’en suis certain, ne manqueront pas de parler des problèmes sur les réseaux sociaux (s’il y en a). Pour ma part, je pense que j’attendrai 6 mois après la sortie pour toutes les raisons que j’ai évoqué dans cet article.
Légalement, un constructeur doit garantir ses produits au moins deux ans. Donc si vraiment il y avait de sérieux problèmes techniques sur ces nouvelles consoles, vous aurez largement le temps de constater d’éventuels défauts et de contacter les différents services de support. Pour moi, l’achat Day One est tout à fait envisageable mais si vous n’êtes pas spécialement pressé, il me semble plus sage d’être patient quelques mois.
Enfin, compte tenu de la pandémie actuelle, il est probable que les prix des matières premières s’envolent. Les constructeurs risquant de vendre leurs machines à perte, il faut s’attendre à de longs mois de pénuries. Un frein au développement du parc installé qui risque également de limiter les publications de jeux sur ces consoles. Concrètement, un achat day one dans ce contexte n’est pas forcément une bonne idée.